Le Magasin CNAC est un lieu dont l’histoire est profondément liée à celle de son quartier et jalonnée des métamorphoses de son bâtiment, aujourd’hui inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.
La Halle
Tout commence en 1900, la halle emblématique est construite à Paris par les ateliers métallurgiques de Gustave Eiffel à l'occasion de l'Exposition Universelle de Paris. Démontée et transportée à Grenoble par les jeunes industriels Joseph Bouchayer et Félix Viallet, dont les établissements connaissent alors un véritable essor, elle s’installe le long du Drac dans un contexte d'implantation industrielle et de transformation du quartier – le quartier Chorier-Berriat (Saint Bruno) naît pour ainsi dire en même temps. La Halle sert pendant près de soixante ans d'atelier de chaudronnerie et de fabrication des conduites forcées pour l'industrie hydroélectrique, et s’inscrit alors dans l’histoire de l’urbanisation et industrialisation grenobloise, en résonance avec le mouvement ouvrier en France, jusqu’aux années 1970. Plus tard, le bâtiment devient un entrepôt et lieu de stockage, avant de subir à son tour le poids du temps et de la rouille tout en continuant d’habiter l’immense friche, aujourd’hui nommée site Bouchayer et Viallet, délaissée suite à la fermeture des usines lui ayant donné son nom.
En 1980 le lieu est redécouvert, avec sur ses portes inscrit en grosses lettres blanches : « Magasin ». Mais il faut attendre 1982 et l’idée lancée par le président François Mitterrand, puis par Jack Lang, ministre de la Culture, de la création d’un Centre national d’art contemporain à Grenoble. Du fait de la crise économique il est exclu de construire du neuf. C’est alors que « le Magasin » entre dans l’histoire des Grands Travaux, et se fait l'un des fers de lance d'une politique de décentralisation d'une forme d'expression artistique. Le CNAC est inauguré en 1986.
L’architecte Patrick Bouchain*, pionnier du réaménagement de lieux industriels en espaces culturels, est invité à penser la reconversion de cette halle en lieu d'exposition. L’adaptation de ce hangar aux normes muséales se révèle rapidement un projet trop coûteux; la solution alternative qui s’impose est donc de ne rien faire ! Le bâtiment présente de nombreuses qualités : la verrière offre une lumière zénithale idéale pour l’exposition des œuvres, tandis que la grande allée permet aux camions de pompiers et véhicules de transports de passer. L’architecte propose alors une intervention minimale et économique: la construction de « boîtes muséales », permettant la répartition des espaces d’exposition, des ateliers de production, des bureaux, de part et d’autre de cette fameuse halle, renommée
« La Rue ». Ce dispositif simple permet d’éviter un appel d’offres et favorise une consultation accessible ; l’entreprise chargée de la fabrication des boîtes est d’ailleurs spécialisée en locaux frigorifiques. L’objectif est d’optimiser l’existant avec le moins d’altérations possible. Sous l’impulsion du directeur Jacques Guillot, le chantier du Magasin s’ouvre aux artistes, Jean-Luc Vilmouth, Nam June Paik, Bertrand Lavier et Ange Leccia, invités à la réalisation d’installations à partir de matériaux trouvés sur place. La démarche s’est donc davantage apparentée à la réalisation d’une scénographie valorisant l’architecture d’origine, une restauration d’un patrimoine historique, une réhabilitation qui faciliterait d’éventuelles reconversions à venir. Mais le Magasin CNAC n’a en fin de compte jamais déménagé.
Le quartier
Le Magasin CNAC se situe sur l’esplanade Andry-Farcy, site rendu piéton ayant fait l’objet de divers projets d’aménagement urbain et un projet de végétalisation (depuis 2017). Il la partage avec quelques restaurants et brasseries, ainsi que la Belle Electrique, salle de concert et scène de musiques électroniques depuis 2007, contribuant au dynamisme créatif du quartier Chorier-Berriat dans lequel il s’ancre.
Ce dernier est communément appelé quartier Berriat, ou Saint Bruno du fait de la proximité de l’Église lui donnant son nom et de sa place animée par le marché. Riche d’activités associatives et de petits commerces, ce quartier populaire, enclavé entre la voie ferrée, les grands boulevards (remparts par le passé) au sud, l’autoroute, les rives du Drac séparant les communes de Fontaine et Seyssinet de Grenoble, a conservé une forte identité. Faubourg plus à l’écart de la ville au XIXème siècle, il est fortement marqué par le foisonnement industriel que le raccordement ferroviaire de Grenoble et la construction de la gare en 1858 favorisent. Tanneries, ganteries, entreprise de boutons, chaudronneries, usine d’électricité, et plus tard la chocolaterie CÉMOI et l’usine Lustucru, y ont séjourné. Elles ont contribué tant au développement économique du quartier, qu’à celui de sa conscience ouvrière, de son engagement dans les luttes sociales, et la naissance des premiers logements ouvriers et sociaux.
Après cet âge d’or, la fermeture des usines dans les années 1960 laisse place à une friche. Ce n’est qu’à partir de 1980 que le site se voit racheté et le quartier réinvesti par la ville de Grenoble. Tandis que les anciens lieux de stockage sont reconvertis en pépinières pour de petites entreprises, cette période de transition favorise également l’occupation de certains locaux par des collectifs artistiques : les premiers squats de Grenoble naissent (le 102, le Bévière, le Brise-Glace, etc.). C’est une période qui marquera le quartier de diverses expériences culturelles, tant éphémères que plus durables. Le site a depuis été réhabilité et a notamment fait l’objet de travaux de requalification en 2005 ; la nouvelle Zac (Zone d'Aménagement Concertée) comprend des locaux d’activités, des logements et équipements culturels dont le Magasin CNAC et la Belle Électrique.
À proximité du quartier d’affaires Europole et du Polygone Scientifique, le quartier s’est aujourd’hui rapproché du secteur de l’innovation ; certains de ses anciens bâtiments et locaux accueillent désormais des starts-up et bureaux partagés. Malgré ces quelques signes et transformations, le quartier Chorier-Berriat semble néanmoins résister à une gentrification totale.
Patrick Bouchain
Patrick Bouchain (né en 1945, à Paris), est un architecte, urbaniste, maître d'œuvre et scénographe français, ayant également travaillé auprès d’artistes comme Daniel Buren et Antoine Vitez ou compté parmi les conseillers du ministre de la Culture Jack Lang. Après des études à l’École des Beaux-Arts de Paris, puis des années d’enseignement à l’école Camondo, son travail prend une posture davantage politique et se concentre sur des constructions publiques: l’architecture se doit d’être au service de l’intérêt général. Il fonde en 1986 l'agence Construire, et pratique une architecture « HQH » (« Haute Qualité Humaine »). La réhabilitation du Magasin à Grenoble compte parmi les premiers chantiers de l’agence. Suivront les réalisations de nombreux autres centres culturels, parmi lesquels La Ferme du Buisson à Noisiel, Le Lieu unique à Nantes, et La Condition publique à Roubaix. Militant d'une méthode prônant la collaboration avec habitants, ouvriers, et architectes, il reçoit en 2019 le Grand prix de l'urbanisme.
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